Extrait du livre « Communiquer autrement », Elisabeth Negre, ed De boeck.
Extraire un pictogramme de son environnement ou d’un tableau de communication en pictogrammes pour l’intégrer dans une suite ou une phrase afin que l’ensemble fasse sens est un acte de langage complexe mis en œuvre dans l’utilisation des tableaux de communication. Cela demande anticipation, intériorisation, conceptualisation etc.
L’élaboration d’un « cahier de vie » peut précéder et faciliter cet apprentissage.
Il pourrait être défini comme un « journal » en pictogrammes, dessins et objets que son propriétaire, sa famille, et son équipe confectionnent ensemble.
Ce cahier de vie, à l’inverse de son confrère le classique carnet de correspondance ou carnet de liaison avec lesquels il ne faut pas le confondre, donne des informations à priori désirées par son propriétaire, qui peut les reconnaître, éventuellement les relire. Y sont décrits ses activités principales, ce qui l’a frappé, ce qui lui tient à coeur, avec les éléments mêmes de ces activités.
Le cahier de vie rassemble des images et de l’écrit, ainsi que tout objet, dessin, papier ou découpage du moment que son propriétaire l’a eu en mains (galet, herbe, ticket de caisse, de théâtre, papier de bonbon, ordonnance médicale, etc … ).
En cas de trouble visuel important, il est nécessaire de représenter les activités, les lieux et les personnes, les évènements forts avec des objets concrets.
Ce cahier devient au fil du temps pour le sujet un livre dont il est le héros !
Ses activités, ses émotions telles qu’on les a comprises y sont retranscrites, occasions permises d’avoir des conversations à propos d’un petit rien de sa vie qui s’est déroulé avec ou sans nous. C’est un médiateur qui permet d’instaurer une communication à partir d’un univers de référence rassurant. Ce cahier lui appartient, l’aide à faire un lien entre les différents vécus et lieux qu’il fréquente. Tellement transitionnel que certains l’ont appelé « doudou de communication » ! Son utilisation régulière, par des partenaires qui parlent en désignant et en manipulant les objets accompagnés de signes, permet progressivement de faire découvrir à celui à qui il appartient le sens et l’utilité des images et objets-référence.
Plus que fournir un matériel, il s’agit de sensibiliser l’entourage à la démarche pour améliorer la compréhension mutuelle (« partners training ») et à stimuler la participation active de la personne aux échanges sociaux (Michèle Croisier, 1993).
Sur le canal réceptif d’abord :
Son utilisation sur le canal réceptif fait partie du projet individuel. Elle doit être décidée et organisée en réunion d’équipe comme toute autre activité (piscine ou autre). Pendant ces temps, les intervenants sont conviés à passer un moment confortablement installés avec la personne, pour vivre un moment de lecture active, ou de communication réussie, même si elle est non intentionnelle et passive.
Le rythme et les partenaires, tous les jours, voire deux fois par jour, sont officiellement inscrits dans l’emploi du temps.
Le cahier de vie donne même des sujets de conversation à quelqu’un qui passe sans connaître nécessairement les contextes.
Le risque qu’il soit confondu avec un tableau de communication, et que l’énergie mise dans sa réalisation soit déçue faute d’objectifs raisonnables est grand : on attend la plupart du temps qu’il soit utilisé directement en expression !!!
On entend très souvent « On a essayé mais ça ne marche pas…!!! »
Mais a-t-on seulement organisé une ouverture (bi) quotidienne de ce cahier par des intervenants variés dont le rôle est simplement de raconter en désignant, en signant et en mimant, les actions et émotions consignées dans ce cahier ?
Le cahier doit être régulièrement réactualisé, en impliquant la famille dans cette collecte.
Les parents y adhérent en général à des rythmes et à des degrés différents.
Le cahier suit son propriétaire de la maison à la crèche ou l’institution et dans les différents endroits fréquentés.
Contre toute attente parfois, certains dont les pathologies sont très limportantes prennent malgré tout plaisir à sa lecture conjointe.
Dans un deuxième temps seulement, son propriétaire, ayant appris sa fonctionnalité dans le dialogue, l’utilisera peut être en expression…
Le but général du cahier est de précéder l’intentionnalité dont devra faire preuve le futur utilisateur de tableau, en lui proposant de communiquer avant de « savoir » communiquer, et en sollicitant le « faire » avant de « savoir faire ».
Pour la personne aphasique ou vieillissante ayant eu une vie « normale », le cahier de vie peut prendre la forme d’un « parcours de vie » à constituer avec elle et sa famille, réunissant les traces des grands évènements personnels et professionnels, les souvenirs forts et marquants, les moments charnières de sa vie et les évènements majeurs vécus par le passé, pour favoriser les échanges avec tous.
Il sera souvent une aide à la connaissance et donc à sa reconnaissance, et un soutien à la mémorisation.
Il s’inscrit dans la démarche de rééducation du langage et de la communication, avant même la phase de rééducation de l’oralisation.
Différentes rubriques.
Présentation du sujet : expression du oui, non, brève histoire de la vie du sujet…
Qui est il ? Son arbre généalogique, les noms et photos des proches et leurs adresses… Des photos à plusieurs moments de sa vie. Sa carte d’identité, sa carte de membre d’un club où il a eu une identité marquante….
Les questions de temps : un calendrier, un agenda, une horloge, les rendez-vous et visites… Sa vie en dates, avec les photos s’y rattachant.
Les lieux et endroits fréquentés dans sa vie, les plans de sa maison, de son quartier, des photos de voyage…
Et pour être à même de ponctuer ces souvenirs de réflexions relatives au présent, on ajoutera :
Les quantités : chiffres, argent… des images de son carnet de chèque, sa banque, une photocopie de sa carte bancaire etc…
Les objets et les actions, classés par besoins, les habitudes de vie…
Comment, pourquoi ? Emotions, motifs des émotions….
Puis, en l’envisageant comme une « langue vivante » (Marie Julien, 2002), on y intégre des représentations d’activités et d’évènements, des questions brûlantes ou inquiétudes, des problèmes et décisions à prendre etc… On y inclut aussi des pages blanches et un stylo pour inciter les partenaires à dessiner, suggérer des thèmes, raconter une anecdote « pictogrammée» et insérer un objet ou élément graphique signifiant (prospectus, ordonnance etc…)
Dans le cas d’une personne démente ou confuse, ou avec maladie d’Alzheimer, il peut être intéressant de recueillir des objets réels et des photos dans une boîte à souvenirs, ou les organiser dans un tableau, un objet décoratif, pour donner corps à ce qui a été son identité, et qui s’en va au fil des jours avec la maladie.
Les accompagnants seront mieux à même de lui faire face en sachant mieux ce qu’elle a été, en ayant l’occasion de référer à cette identité là, même déclinante … Mais il est nécessaire d’agir avec prudence car ces souvenirs identitaires sont autant de stigmates de la maladie, et peuvent déclencher par leur présence agressivité et comportements dévastateurs pour la relation. Beaucoup de doigté et une connaissance pointue de la personne, de sa maladie et de son évolution sont là encore indispensables.